
Téléchargez L’article – Ressourcement, Imaginaire et Vision Stratégique
Nous sommes loin de l’époque où la vision du monde, inspirée par Descartes et Newton reposait sur l’idée que l’homme pouvait dominer la nature et que l’univers était régi par des lois rationnelles et mécaniques. Cette vision a eu pour mérite de favoriser l’essor de la science en Occident mais elle a aussi largement imprégné nos schémas de pensée et d’éducation, à savoir qu’il suffisait d’être rationnel pour prendre les bonnes décisions et résoudre les problèmes.
Les dirigeants d’entreprise occidentaux ont été largement formés avec cet arrière-plan épistémologique, et en France peut être plus qu’ailleurs en raison de sa tradition plus conceptuelle qu’expérientielle. Les schémas de pensée hérités du passé ont ainsi la vie dure : même si la théorie quantique a depuis plus de cent ans révolutionné la science et notre rapport au monde, la notion de vision stratégique est encore pour beaucoup de dirigeants synonyme d’approche de type cerveau gauche, principalement rationnelle où l’imaginaire et le rêve ont peu de place.
Cette conception ne correspond cependant plus à la complexité du monde actuel, aux besoins d’innovation et de créativité, tout comme aux attentes des collaborateurs des entreprises. Nous sommes convaincus que tout dirigeant se doit aujourd’hui d’être attelé à de puissants chevaux galopants sur les cimes de l’imaginaire s’il souhaite rester dans la course. Le ressourcement lui permet de gagner à la fois en discernement sur le plan rationnel et de fertiliser son imaginaire et celui de ses collègues avec qui il est de plus en plus en interaction créative.
- Les apports de la physique quantique
La physique quantique postule qu’il est impossible de déterminer les trajectoires des éléments d’un système car les valeurs des caractéristiques de ces éléments ne sont déterminées que dans certaines limites, et on ne peut en donner que des probabilités. La position des particules composant la matière est de ce fait indéterminée. Cela a bouleversé le fonctionnement mécaniste de la physique classique et révolutionné notre rapport à la matière et à la conscience. Nous rappelons ici succinctement sommaire quelques uns de ses principes fondamentaux[1]:
- Au niveau microscopique, la matière est indéterminée, elle peut être dans plusieurs états distincts à la fois, et l’état d’une particule inclut l’ensemble de toutes ses possibilités superposées.
- La matière est discontinue (lorsqu’un électron saute d’une orbite de l’atome à une autre, il n’y va pas comme un oiseau qui saute d’une branche à une autre, avec une trajectoire qui a une durée. L’électron est à un niveau et instantanément il se retrouve transporté à l’autre niveau, sans parcours entre les deux, par une sorte de dématérialisation et de re-matérialisation immédiate (c’est ce qu’on appelle le saut quantique).
- La matière est à la fois onde et particule, la notion d’objet défini avec ses caractéristiques perd de son sens. Il est impossible de décrire un objet en tant que tel, car il est la superposition des états de cet objet,
- L’observateur modifie la matière observée, et peut influencer par la pensée et par l’émotion la matière,
- La notion de causalité est remise en question: un événement peut surgir simultanément « maintenant et auparavant ou auparavant et plus tard », de même une information peut être transmise instantanément d’un lieu à un autre. La notion de synchronicité en découle[2],
- L’hypothèse de l’existence de réalités multiples a été émise : certains physiciens théorisent l’existence d’un monde subquantique et de réalités multiples et parallèles,
- Certains physiciens considèrent qu’il y a des convergences entre physique quantique et spiritualité.
La physique quantique a ainsi contribué à donner une nouvelle vision du monde, en perpétuelle évolution et qui se crée en permanence. « L’univers semble engagé dans une danse cosmique ininterrompue » selon le physicien Fritjof Capra. Cette vision non déterministe et non causale du monde, ouvre par analogie[3] de vastes horizons pour la vision stratégique :
- Penser, par exemple, que dans une organisation une chose et son contraire peuvent être également utiles, et qu’une vision stratégique ne nécessite pas forcément restreindre le champ des possibles à un choix unique,
- Un autre enseignement utile pour les dirigeants est de considérer que la réalité est toujours plus complexe qu’ils ne peuvent l’imaginer et que leur analyse pour intéressante soit-t-elle n’embrasse qu’une partie de la réalité,
- La réalité est d’ailleurs une construction de notre regard et de notre théorie,
- Le dirigeant n’est pas extérieur au système, il participe et influence le système, par ses émotions au même titre que sa pensée,
- La notion d’onde et d’énergie ouvre la porte sur la notion de résonance[4] en entreprise, lorsque tous les acteurs ou que la majorité d’entre eux travaillent en harmonie, on sent une énergie collective plus forte à créer et à réaliser.
- L’imaginaire du dirigeant gagne à communiquer avec l’imaginaire des salariés,
- La conscience d’un individu et donc aussi d’un dirigeant peut être reliée à la conscience universelle de tous les individus,
La théorie quantique a aussi influencé la conception de la psychologie. Marie Louise VON FRANZ, psychiatre et une des principales collaboratrices de JUNG, a développé l’hypothèse émise par celui-ci d’un « Tout psycho-physique », d’un Unus Mundus (le Monde-Un). Selon elle « le physicien et le psychologue observeraient en fait un même monde par deux canaux différents ». VON FRANZ propose de ne plus considérer la psyché comme un corps qui se meut dans le temps, mais comme une « intensité sans étendue » renvoyant à l’énergie, tant psychique, que physique.
Sur un autre plan, les investigations de la biologie moderne, avec l’épigénétique[5] nous ouvrent aussi d’immenses horizons. Le temps n’est peut être pas très loin où on démontrera scientifiquement que les valeurs transmises dans une famille se codent en modifications génétiques qui deviennent héréditaires sur deux ou trois générations ! La conception de l’inné et de l’acquis a bougé et les conséquences en sont vertigineuses dans notre conception des interactions entre les hommes, de l’apprentissage et de la relation avec l’environnement.
De manière plus facilement mesurable, l’observation du fonctionnement de l’organisme humain a déjà révélé que la confiance et la limitation du stress dans une équipe de travail créent un climat favorable à la créativité et à la productivité. On connait aussi les effets biochimiques du stress, et on peut émettre l’hypothèse que la confiance, l’empathie et l’esprit de collaboration insufflés par un dirigeant provoquent aussi des réactions biochimiques dans l’organisme des salariés qui renforcent et facilitent la coopération, et constituent un terreau favorable à l’émergence du sens et à l’acceptation du changement.
On est loin de la conception mécaniste de l’entreprise où il suffisait au dirigeant de prendre de bonnes décisions et de les mettre en œuvre. La complexité de la matière ouvre sur les vastes horizons du rêve, de l’inconscient individuel et collectif et de l’émotion. Le dirigeant doit apprendre à les intégrer dans sa conception du monde et de sa relation aux autres, dans leur belle diversité.
Cette notion de diversité est d’ailleurs essentielle pour catalyser la créativité : diversité des parcours, des âges et des origines, mais aussi multidisciplinarité sont devenues essentielles dans un monde où la digitalisation et la « bionisation » progressive du vivant sont des leviers majeurs de la transformation.
- De la pensée rationnelle à la prise en compte de l’imaginaire et de l’émotion
Cet apprentissage nécessaire au dirigeant est d’un genre nouveau : il donne la primauté à sa disponibilité à percevoir son émotion personnelle, à l’empathie avec autrui et à l’expérience de la créativité de son imaginaire, plus qu’à la seule rationalité. Le dirigeant actuel doit ainsi apprendre à jongler sans cesse entre deux mondes, celui de l’imaginaire et de la rationalité. Le ressourcement est devenu pour lui une nécessité pour se centrer, réduire son agitation, conscientiser son corps pour se connecter à lui-même et à son imaginaire.
La forme que prend ce ressourcement est propre à chacun : marche à pied, méditation, écoute de la musique[6], lecture d’un poème, etc. L’important est de permettre la distanciation avec l’action ou la pensée immédiate, de casser le rythme, de ralentir la pensée et de favoriser l’harmonisation des hémisphères cérébraux pour laisser éclore la créativité. Leonard de Vinci, génie universel, alternait constamment entre création artistique et invention, en passant sans cesse d’un domaine à l’autre. Einstein est connu pour avoir joué du violon à chaque fois qu’il était bloqué sur une question théorique. De grands mathématiciens, ont souvent confié à leur sommeil et à leur rêve des problèmes qu’ils n’arrivaient pas à résoudre. Pensons aussi au fameux « Euréka » d’Archimède de Syracuse prononcé dans son bain au moment où il perça les lois de la flottaison, et à Napoléon avec sa belle formule « je fais le plan de mes batailles avec le rêve de mes soldats endormis ».
L’osmose entre imaginaire, créativité et percée théorique a été de tout temps célébrée, et elle revient en force après quelques siècles où le positivisme occupait le devant de la scène. Le dirigeant qui sait intégrer dans sa pratique de réflexion stratégique, cette ouverture à l’imaginaire à sa propre sensibilité saura générer des orientations non seulement créatives et pertinentes mais profondément en harmonie avec son Etre profond. Il y gagne en consistance et en cohérence, mais aussi en lisibilité et crédibilité vis-à-vis de ses collaborateurs.
- De l’imaginaire individuel du dirigeant à l’imaginaire en réseau
A la différence d’autrefois où le génie réfléchissait souvent en solitaire à la manière de changer le monde (tout en communicant beaucoup avec ses confrères – l’exemple de l’abondante correspondance épistolaire d’Erasme, de Descartes et de nombre d’autres savants et penseurs l’illustre bien-, mais cette communication était lente et peu interactive), nous avons besoin actuellement de dirigeants fonctionnant en réseaux solidaires et capables de favoriser la créativité de leurs collaborateurs pour faire évoluer les modèles d’activité de leurs entreprises.
La complexité de l’entreprise, la place centrale prise par le client et de ses attentes qui a été facilitée par l’apparition des nouvelles technologies communicantes, nécessitent une flexibilité et une capacité de création de nouveaux produits à tous les niveaux de l’entreprise, et de préférence au plus proche des besoins et non plus seulement dans des entités centralisées.
Le dirigeant garde certes la responsabilité d’une stratégie d’ensemble mais son rôle s’affirme de plus en plus comme celui d’un facilitateur dans l’allocation de moyens aux échelons décentralisés, d’un soutien dans la mise en mouvement. Il fait appel à l’imaginaire et à la créativité de ses collaborateurs et de ses partenaires internes et externes. Le client lui-même devient de plus en plus acteur de la co-création de produits.
Dans la transformation en cours, la capacité de nouer des partenariats et de travailler en réseau commence d’ailleurs à primer sur la propriété des idées et des brevets et permet d’attirer les meilleurs talents. Certains exemples récents (le concept de train hyperloop se déplaçant à 1200 km/ha développé par les équipes de Elon Musk, la mise à disposition gratuite de codes informatiques, etc.) ouvrent la voie. Nul doute que nous sommes au tout début de l’économie collaborative et que ce phénomène aura une grande incidence sur la conception du management, de l’autorité, du rapport au travail, et donc forcément dans la conception des stratégies.
La floraison d’espaces de co-working dans toutes les grandes villes, qui sont plus que de simples mises à disposition d’espaces de bureau à moindre coût mais relève plus de ruches bourdonnantes, où la connectivité générale et planétaire des occupants, la multidisciplinarité et la facilité de la relation de proximité créent un cocon créatif stimulant.
Cette notion de réseau ne concerne plus uniquement les personnes : avec le développement de l’internet des objets et de l’intelligence artificielle, la connectivité entre les hommes et les machines, et les machines entre elles, sera omniprésente et les dirigeants devront apprendre à intégrer cette nouvelle donne. Ils ne partent pas de rien : les outils de simulation permettent déjà actuellement réaliser des scénarii stratégiques en fonction de centaines de critères et représentent une aide précieuse pour éclairer un éventail d’impacts possibles en fonction des hypothèses de base. De même, la masse de données à traiter connaît déjà une croissance exponentielle du fait de l’interconnexion généralisée des objets, des hommes, des clients et des systèmes mais cette tendance va aller fortement en s’accélérant.
Nul doute que le développement de l’intelligence artificielle qui pénètre tous les domaines de la décision humaine, va conduire le dirigeant à développer un savoir faire spécifique pour prendre en compte ces méta-connaissances, en termes de décisions stratégiques, d’allocation de moyens,de communication, etc. Il lui faudra aussi revisiter les concepts de réseau (informations partagées) et de tribus (valeurs, émotions, symboliques partagées).
Ces évolutions conduiront aussi à de nouvelles formes de coopération inter-générationnelles et inter-disciplinaires intéressantes qui contribueront à casser les codes sociaux trop rigides de nos sociétés. C’est ainsi par exemple que les anciens pourront apprendre des plus jeunes (on pense surtout à l’évolution technologique mais le transfert de savoir des jeunes vers les plus âgés pourra aussi concerner d’autres questions importantes telles que les modalités de collaboration, de co-création, d’attitudes, etc.). Les jeunes bénéficieront de leur côté de l’expérience et du coaching des seniors.
Cette mobilisation de l’imaginaire et des imaginaires connectés dans la grande galaxie de l’information va faire évoluer profondément nos modes de fonctionnement, de pensées et d’apprentissage. Nous avons la chance d’assister à une transition vers une nouvelle forme de civilisation qui présente beaucoup d’avantages en termes de créativité et d’impact global d’une seule personne, de facilités de réaliser et de se réaliser. Elle crée aussi de nouveaux risques, des addictions, de formes nouvelles de troubles psychologiques, comme de nouvelles questions éthiques. De nouvelles formes de ressourcement seront aussi à inventer pour permettre aux dirigeants de remplir leur métier.
- Comment contribuer en tant que dirigeant à accélérer cette métamorphose de l’entreprise et de la société ?
La question de la responsabilité personnelle était autrefois une question d’essence religieuse, pensons à la fameuse « éthique du protestantisme et esprit du capitalisme » brillamment énoncée par Max Weber au début du 20ème siècle. Les nouvelles technologies communicantes ont donné un relief non religieux, moins intellectuel et plus concret à cette question de la responsabilité. La question n’est plus tant « qu’est ce qu’il faudrait faire ? » mais « quoi faire concrètement avec les moyens immenses à notre disposition ? ». L’homme a en effet aujourd’hui des moyens considérables de communication et d’influence sur les autres qui conduisent à revisiter ce concept de responsabilité. Les répercussions en sont multiples, tant au niveau politique avec l’émergence d’initiatives de démocratie directe, dans le développement durable avec la mise en relation directe des producteurs et des consommateurs, ou dans l’entreprise.
La question se pose donc aussi pour le dirigeant de ce qu’il fait pour contribuer à accélérer la métamorphose. Il appartient à chacun d’y apporter sa réponse et il convient de ne pas être normatif en la matière. Les initiatives possibles sont multiples, en termes d’attitudes collaborative du dirigeant, d’encouragement à l’expérimentation, à l’erreur et à la différence, de facilitation des mises en réseau et des partenariats, de renouvellement de la gouvernance, etc. A chacun de choisir et d’imaginer ce qui lui semble le plus pertinent.
Mais au-delà de ses choix, il conviendrait de s’interroger sur un nouveau fondement éthique de sa légitimité de dirigeant. Une idée à explorer peut être, serait celle de « gardien de la flamme du ressourcement », à la fois de son ressourcement personnel, et de celui de ses collaborateurs. Son nouveau rôle éthique pourrait être d’exercer une certaine vigilance pour que malgré les immenses opportunités de développement de la civilisation à venir, elle ne conduise pas à davantage d’aliénations, d’addictions et de sur-optimisations permanentes du temps.
Il pourrait apprendre pour soi et aux autres « à ralentir pour attraper les bons rythmes »…
Gérard ROTH, le 10 Mai 2016.
I like the helpful info you supply in your articles. I’ll bookmark
your blog and check once more here frequently.
I’m somewhat sure I will be told many new stuff
proper here! Best of luck for the next!