
La pression du court terme a conduit ces dernières années à accréditer l’idée qu’un style de management agressif était nécessaire pour réussir en entreprise. Dans le même temps, la domination des méthodes managériales anglo-saxonnes, laissent à penser que ces modèles fonctionnent universellement. La conviction des auteurs de Profession dirigeant, est que le changement en entreprise est plus fécond, si le système de management est en cohérence avec le référentiel de valeurs sous-jacent, en l’occurrence européen pour ce qui nous concerne. Praticiens du management, nous insistons aussi sur la dimension humaine du management et sur la nécessité de donner du sens pour réussir sur la durée.
La conception du changement, une lecture de la réalité
L’observation du management des entreprises met en évidence que deux dirigeants disposant des mêmes éléments de diagnostic en tirent des conclusions différentes en termes de stratégie. Cette notion de lecture de la réalité est inhérente à la conception du changement. C’est le cas lors du choix des éléments à diagnostiquer, de la définition de la stratégie ou de son déploiement. Cette conception a des répercussions multiples sur le mode de pilotage de l’entreprise, la sélection des futurs dirigeants, mais aussi la communication avec les collaborateurs. Notre souci est ainsi de donner au dirigeant des outils lui permettant de vérifier que la stratégie voulue ne reflète pas sa seule conviction mais corresponde bien aux enjeux de l’entreprise. Il est intéressant de ce point de vue de recourir aux théories et aux fondements de la perception pour aider le manager à conscientiser ses propres modes de fonctionnement. Cela lui sera utile aussi dans la conduite du changement, dans le choix de son équipe et dans l’appréhension des facteurs de succès à respecter. Dans le même esprit, une réflexion sur les fondements de la culture, et notamment sur ce qui fonde notre spécificité d’européens par rapport aux américains, nous semble également nécessaire. Alexis de Tocqueville, dans son célèbre livre, De la démocratie en Amérique, mettait déjà en évidence les différences structurelles de ces deux cultures. En effet, le mode de fabrication des valeurs et le rapport au réel semble plus complexe dans la culture européenne que dans la culture américaine. Le manager européen intègre davantage d’éléments conceptuels. Globalement, la culture européenne est plus interrogative, le doute est davantage cultivé. Ces différences sont décisives pour la manière de concevoir des stratégies, de diriger et de motiver ; elles affectent toutes les composantes du management.
La dissonance est au management ce que le bruit est à la musique
Le rêve de tout manager pourrait être de concevoir une stratégie lumineuse déclinée à travers une organisation parfaite et bénéficiant de l’adhésion des collaborateurs. Dans la réalité, le manager fait face à de nombreuses dissonances dans sa démarche de changement, par exemple lorsque la culture de l’entreprise est en fort décalage avec la vision stratégique ou avec les processus de management. On voit ainsi le métier de manager sous un angle nouveau, celui de « traqueur de dissonances », ce qui nécessite une écoute en profondeur de son entreprise et une compréhension des interactions entre les leviers de management. Le manager exerce ainsi son métier à l’instar d’un chef d’orchestre procédant à des réglages avec doigté, pour atténuer certaines dissonances, et non pas comme un homme orchestre qui serait le seul porteur du changement et obligé de superviser lui-même toutes les actions.
Donner du sens : oui à la simplification, non au simplisme !
On assiste aujourd’hui à une véritable quête de sens des collaborateurs qui veulent trouver dans leur travail des réponses à des questions que la société n’arrive plus à donner. La démarche stratégique permet à notre avis de répondre à cette problématique, car elle suppose deux mouvements simultanés: une démarche de traduction de la complexité en énoncé simple de la part du manager, et une démarche de participation active de la part des collaborateurs. Pour ce faire, le manager et son équipe doivent développer une véritable intimité et une proximité avec leur entreprise. Car connaître signifie certes comprendre rationnellement mais aussi sentir et développer une relation quasi-instinctive avec la réalité de son entreprise. Le managera propagera aussi une culture de la simplification par l’élagage des demandes de reporting, la standardisation des procédures et la délégation des responsabilités au plus près du terrain. Bien entendu, il agira avec discernement, et il ne confondra pas la simplicité qui a trait à l’essentiel avec le simplisme réduisant de manière outrancière la complexité à quelques recettes caricaturales.
Les collaborateurs eux savent que les défis de la qualité de service ne se résolvent plus sans leur implication personnelle. Ils veulent qu’on les reconnaisse et qu’on prenne acte de leur volonté de contribuer au développement de l’entreprise. Dans le même temps, ils comprennent qu’une stratégie d’entreprise ne peut être l’addition des règlements des dysfonctionnements pris un à un. La «fabrication du sens» se trouve ainsi dans l’organisation intelligente de la rencontre entre deux pôles, celui du manager qui définit une stratégie à l’écoute des acteurs de son entreprise, et celui des collaborateurs soucieux d’apporter leur contribution active. Le manager veillera aussi à créer la confiance qui permet d’inventer au fur et à mesure les voies de cette rencontre fructueuse. Pour ce faire, il écoute beaucoup, et lorsqu’il parle, il se rappelle de ce proverbe chinois: «des paroles carrées ne rentrent pas dans des oreilles rondes ».
Gérard Roth, Novembre 2015.
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