
Téléchargez L’article – Vingt Conseils pour un Dirigeant
Un premier conseil… ne pas trop écouter les conseillers et définir son propre style de leadership cohérent avec ses valeurs, sa personnalité, son expérience, son ambition, etc.
Cela nécessite certes de se connaître, d’être conscient de la portée de ses actes, d’avoir étudié le fonctionnement des organisations et réfléchi à sa manière de lire la réalité, de savoir répondre à la demande de sens des collaborateurs, de discerner ce qui relève d’une crise passagère ou d’une rupture profonde de l’environnement, et de multiples autres choses encore. Le dirigeant gagne à y avoir réfléchi préalablement car lorsqu’il est nommé, la multiplicité des sollicitations auxquelles il est soumis ne favorise pas la réflexion sereine.
Les indications qui suivent ne doivent évidement pas être prises au pied de la lettre. L’idée même de réduire l’exercice du leadership à une vingtaine de recettes procède de l’illusoire. Ces lignes n’ont ainsi qu’une fonction d’interpellation pour dirigeants et futurs dirigeants.
- DES DECISIONS A PRENDRE RAPIDEMENT pour réduire l’incertitude
L’arrivée d’un nouveau dirigeant suscite en général de l’incertitude auprès des collaborateurs. Celle-ci peut dans une certaine mesure être féconde pour favoriser le changement mais le dirigeant gagne à la réduire rapidement pour éviter la dispersion de l’énergie collective et pour favoriser l’adhésion des collaborateurs. Un dirigeant fraîchement nommé gagne ainsi à décider rapidement d’un certain nombre de points qui relèvent de son autorité.
- Définir ses attentes immédiates
- Celles-ci peuvent être provisoires (par exemple « je veux d’abord me donner deux mois pour faire le tour des équipes ») ou plus circonstanciées (« nous avons une crise ou des urgences vitales à gérer et nous allons d’abord y faire face puis nous prendrons le temps de redéfinir ensemble la stratégie »), mais d’une manière ou d’une autre, le dirigeant gagne à exprimer rapidement ses premières attentes.
- Définir son équipe
- Décider rapidement, à travers des entretiens individuels, qui fait partie de son équipe (cette équipe n’est pas forcément définitive).
- Préciser son style de leadership en ne cherchant pas à faire plaisir à tout le monde
- Quelle priorité donnée à la concertation ou au contrôle ?
- Quelle allocation de son temps ? priorité aux réunions ou à la présence sur le terrain ? quel dosage ? Qui décide de son agenda ? Comment se laisser du temps pour soi ? comment travailler simultanément sur plusieurs échelles de temps ? quels critères de criticité entre urgence et importance ? etc.
- Modalités de délégation et de reporting, et ce qu’il décide de ne pas déléguer (par exemple l’innovation ?)
- Définir le rythme des réunions, la manière dont celles-ci doivent être préparées, la définition des ordres du jour, les modalités de compte rendu, le contrôle de la mise en œuvre des décisions, etc.
- Les modalités de contrôle de la mise en œuvre des décisions prises
- Donner des signes de recherche de dialogue social en rencontrant les OS et DP
- Appliquer d’emblée son nouveau système managérial
Une fois que les décisions principales du système de management ont été communiquées, il est nécessaire de les mettre en œuvre sans attendre et de donner le signal que le dirigeant met en œuvre ce qu’il dit. Les conditions ne sont en général pas d’emblée réunies pour fonctionner dans le « nouveau système » mais il vaut mieux s’exercer à le faire de suite, même imparfaitement, les organisations ont un temps d’apprentissage qui est plus long que la diffusion d’un écrit et plus tôt on commence mieux cela vaut. Le mouvement crée d’ailleurs la nécessité d’un apprentissage plus rapide.
- Se donner un peu de temps pour les questions de fond
Autant il est utile de définir rapidement les rites et les modalités de fonctionnement, autant il convient de se donner du temps pour les questions de fond, d’abord parce que l’intuition n’est pas toujours bonne conseillère et que la précipitation ne favorise pas l’adhésion.
Il arrive cependant que le dirigeant fraîchement nommé soit confronté à des décisions urgentes pour lesquelles il ne dispose pas du temps pour connaître l’ensemble des données liées au passé ou au contexte. Si tel est le cas il convient de vérifier s’il s’agit d’une vraie crise et de la traiter comme telle avec le concours de son équipe ou s’il ne s’agit que de « pseudos urgences » liées à l’hystérie du système. En supposant que le dirigeant puisse disposer de deux mois pour se faire une idée du contexte, il serait utile de :
- S’intéresser au passé et dire si possible du bien du prédécesseur
Même si le monde évolue très vite et que le futur n’est pas une simple extrapolation du passé, il est utile de connaître le passé :
- Par respect des personnes dont beaucoup sont présentes dans l’équipe du CEO,
- Par intérêt de se mettre d’abord en position d’écoute sur les choses importantes plutôt que de décider trop vite,
- Pour connaître les éléments structurants liés à l’histoire, à la culture et à l’imaginaire collectif,
- Dire du bien du prédécesseur, quitte à adapter certaines décisions préalables, facilite la redéfinition des contrats de loyauté, suscite adhésion et permet d’aller plus vite et à moindre coût.
- Se mettre en posture d’écoute les deux premiers mois
La posture d’écoute ne condamne pas à l’immobilisme comme nous venons de le voir préalablement mais permet au dirigeant de se faire une idée la plus pertinente possible du contexte. Il peut être utile à cet effet de :
- Communiquer sur cette décision d’écoute des collaborateurs, ce qui est très bien accueilli et ouvre des possibilités de dialogue au plus proche du terrain,
- D’aménager son agenda de sorte que cette posture d’écoute se traduise en actes, en visites de terrain, en rencontres de partenaires externes et de clients, etc.
- De prendre connaissance de la masse précieuse d’écrits de synthèse existants : rapports d’audits internes et externes, sondages, enquêtes, etc.
- De prendre connaissance des tableaux de bord et de l’état du système de pilotage et de contrôle de gestion (est-il cohérent ? pertinent ? mobilisateur ?).
- Prendre connaissance de l’état des fonctions support clés : RH, IT, profondeur de la digitalisation des processus existants, marketing, pilotage de l’innovation, etc.
- De repérer les talents et d’identifier un réseau d’alliés potentiels internes et externes
- De chercher à établir une relation avec les partenaires sociaux et d’écouter leur vision.
Cette posture d’écoute n’est pas un exercice solitaire du dirigeant ; il peut mobiliser son équipe, échanger sur ses constats, en relativiser certains. Il s’agit d’un processus interactif et relationnel et non pas d’un exercice unilatéral et purement cérébral.
- Changement de stratégie
L’évolution du contexte et les ruptures technologiques conduisent à devoir adapter plus ou moins profondément la stratégie de l’entreprise. Le dirigeant est ainsi appelé à se mobiliser sur plusieurs fronts pour à la fois préserver les « vaches à lait » productrices d’ebitda le plus longtemps possible et dans le même temps favoriser le développement de nouveaux produits-services qui bouleverseront parfois à échéance rapide l’ensemble du business modèle et de l’organisation, voire qui cannibaliseront à terme l’ancienne activité. Cette problématique s’est accélérée de manière exponentielle avec la digitalisation et aucune entreprise n’y échappe.
Pour le dirigeant, cette double démarche consistant à préserver les recettes issues du passé (tout en sachant qu’il ne s’agit parfois que de batailles de retardement) et de préparation des ruptures drastiques n’est pas naturelle. Elle s’inscrit aussi en rupture avec les apprentissages du passé, du fait de la vitesse des évolutions. Elle nécessite de nouvelles formes de leadership. Le leader charismatique et héroïque n’est plus vraiment adapté à cette nouvelle donne qui nécessite l’engagement d’une équipe de direction souvent élargie à des fonctions clés.
- Préserver les vaches à lait
La digitalisation change certes progressivement les business modèles mais cela ne se fait pas du jour au lendemain et les efforts portant sur la pérennisation de la productivité des « vaches à lait » sont souvent indispensables. Nous ne les détaillons pas ici, ils relèvent de la panoplie managériale bien connue.
- Constituer une équipe en charge du changement
Le changement lié aux ruptures technologiques et à la digitalisation nécessite de nouvelles méthodologies pour concevoir des stratégies adaptées, pour les mettre en œuvre et donner du sens. Les démarches stratégiques classiques engagées jusqu’à présent ne sont plus suffisantes et une équipe de direction ne peut plus être seule pertinente à définir la stratégie. Il lui faut d’abord l’admettre ce qui revient à remettre en question certains dogmes d’autorité et promouvoir une nouvelle culture d’ouverture en interne et vers l’externe, et d’expérimentation. La composition de l’équipe en charge de la conception du changement stratégique gagne à être hétérogène et intégrer des compétences diversifiées, telles que :
- Des compétences de décision stratégiques (des membres du comité de direction),
- Le chief digital officer et/ou un responsable innovation,
- Des représentants du marketing mais aussi d’opérationnels proches des clients,
- Des représentants de clients et partenaires,
- Cultiver l’ouverture du référentiel,
Une des difficultés est de repérer les innovations apportant des ruptures dans le business modèle. L’histoire récente des grandes réussites (par exemple celle des GAFA et équivalent) nous montre que le danger ne vient pas uniquement des concurrents classiques comme cela était le cas jusqu’à présent mais de nouveaux entrants qui se développent à très grande vitesse et qui transposent à un nouveau secteur d’activité des innovations couplées au digital.
Au-delà des learning expeditions qui sont nécessaires pour faire prendre conscience des changements, il s’agit de faire évoluer en profondeur la fonction de veille pour lui donner un véritable caractère stratégique. Cela requiert une implication plus ou moins directe du top management et une liaison plus réactive entre la fonction de veille et ceux qui décident d’allouer des moyens à de nouveaux champs d’activités ou à des expérimentations.
- Développer une nouvelle culture de l’innovation et favoriser la culture d’expérimentation
Un double mouvement semble nécessaire : développer le plus possible la culture de l’innovation mais être conscient que le «fait maison» ne suffit plus :
- Favoriser une culture de l’innovation à tous les niveaux en interne et capitaliser sur les expériences du terrain,
- Dialoguer avec les incubateurs et accélérateurs pour leur soumettre des problèmes,
- Favoriser une culture de l’expérimentation : la nécessité de tester, d’apprendre de ses erreurs deviennent plus que jamais des facteurs clés de succès.
- Développer la réactivité stratégique
La réactivité stratégique est une des vraies difficultés des grandes organisations qui savent souvent détecter les signaux faibles, les ruptures à venir, en un mot qui savent ce qu’il faudrait faire mais qui sont prisonnières de leur lourdeur et incapables d’allouer des moyens et de se départir de leur système de décision hérité du passé.
Pour développer cette réactivité, plusieurs approches complémentaires semblent possibles :
- L’une consiste à faire respirer l’organisation en donnant de vraies délégations de décision à des niveaux de management proches du terrain, avec des moyens financiers adaptés pour des acquisitions, développer de nouveaux produits, expérimenter, etc.
- L’autre consiste à installer un comité de pilotage stratégique de l’innovation, présidé par le CEO ou son proche représentant avec la participation de responsables marketing ou dirigeants proches du terrain et non pas la seule fonction R&D. Ce comité sera chargé de prendre des décisions plus structurantes en termes d’innovation produits et de croissance externe.
- Le dirigeant a là aussi un rôle important de facilitateur et de support et non pas simplement de décideur ultime voulant tout centraliser !
- Définir de nouveaux indicateurs permettant de mesurer la création de valeur et l’expérience client
Un des axes de la réussite d’aujourd’hui comme de demain est la connaissance précise de la satisfaction des clients, selon une segmentation la plus fine possible. Les outils classiques de contrôle de gestion ne sont en général pas conçus pour cela. Le choix des critères de pilotage comme des systèmes informatiques peut être déterminant à cet égard.
- Mise en œuvre de la stratégie
La mise en œuvre de la stratégie voulue dans l’organisation nécessite un traitement approprié à chaque situation, une progressivité pour éviter l’engorgement et faciliter l’appropriation des collaborateurs, un traitement des dysfonctionnements les plus critiques et des mesures d’accompagnement en termes de formation, de communication, de systèmes d’information, de relations avec les partenaires, etc.
L’implémentation d’une nouvelle stratégie dans l’organisation est un processus itératif et complexe qui mobilise fortement l’attention du dirigeant et de son équipe.
Il serait impossible d’en détailler ici de manière exhaustive les divers aspects et nous n’abordons que ceux qui nous paraissent les plus significatifs.
- Veiller à la résonnance entre stratégie, implémentation et partage du sens
La réussite d’une entreprise dépend certes de la pertinence de sa stratégie mais tout autant de la qualité de sa mise en œuvre. Au-delà des nombreux dysfonctionnements pouvant exister et qui accaparent son attention, le dirigeant gagne à développer un regard systémique et global sur son organisation pour identifier les dissonances les plus importantes, telles que celle pouvant exister entre sa stratégie voulue (nécessitant par exemple une fluidité de l’information dans l’organisation) et l’état de son organisation (avec par exemple un fonctionnement en silos qui empêche cette fluidité) ou une culture de management très centralisatrice qui bloque toute initiative alors que l’implication et la créativité de chaque collaborateur est souhaitée.
Cette notion de dissonance ou de macro-dysfonctionnement est différente de celle d’un dysfonctionnement qui ne concerne qu’un nombre restreint de paramètres dans un domaine défini. Elle nécessité un apprentissage particulier et une capacité de prise de recul globale que le dirigeant n’a en général pas eu l’occasion d’exercer dans des postes de management.
- Etude des dysfonctionnements critiques
Au-delà des dissonances précitées, l’implémentation de la stratégie dans l’organisation révèle parfois des dysfonctionnements sectoriels qui peuvent s’avérer contraires aux buts recherchés. Le dirigeant gagne ainsi à s’assurer de boucles de retour du terrain pour identifier et ensuite traiter les dysfonctionnements les plus critiques. Il y gagne non seulement en efficacité mais en adhésion des collaborateurs de terrain.
Trop nombreux sont en effet les dirigeants qui considèrent que leur travail s’arrête aux décisions dites « nobles et que l’intendance n’est pas de leur niveau de responsabilité ». Il ne leur appartient effectivement pas de se substituer aux niveaux de management subalternes dans le traitement des dysfonctionnements mais de veiller à ce que les problèmes importants soient traités rapidement et efficacement.
- Faire évoluer la culture d’entreprise
La culture d’entreprise évolue par définition très lentement et peut constituer un frein à la mise en œuvre de la stratégie. Une attention particulière doit y être portée pour identifier les éléments bloquants, communiquer et mener les actions symboliques nécessaires, développer une culture de coopération entre de petites équipes (Cf .règle des deux pizzas de Amazon) etc.
- Choix et relations avec les prestataires
De nombreux prestataires travaillent souvent depuis longtemps avec l’entreprise et sont devenus partie intégrante de la chaîne de valeur. Le dirigeant aurait tort de ne les considérer que comme de simples forces d’appoint facilement remplaçables car ces sous-traitants ont souvent développé une véritable expertise et disposent d’une connaissance détaillée de certains processus de l’entreprise. Il convient certes de s’interroger sur le degré de dépendance vis à vis de ces prestataires et d’engager des actions correctrices éventuelles pour la réduire. Il est souvent utile aussi de les traiter comme partenaires du changement à part entière, de solliciter leur avis et de leur donner de la visibilité en termes de plan de charge.
- Anticiper et réduire les risques
L’anticipation des risques dans un monde de plus en plus volatile nécessite souvent de développer des modélisations sur des éléments essentiels de risques tels que les matières premières ainsi que des stratégies de couverture des risques. Une entreprise dispose rarement de l’ensemble de l’expertise sur ces questions et gagne à entretenir un dialogue avec des instituts spécialisés. Une autre composante essentielle de la réduction des risques réside dans l’implication le plus en amont possible de la fonction juridique dans les dossiers qui ne doit plus être vue comme une force d’appoint technique mais comme un partenaire.
- Mesures d’accompagnement
Des mesures d’accompagnement sont en règle générale nécessaires que ce soit en termes de d’organisation avec l a création de petites équipes pluridisciplinaires ayant un objectif commun, de compétences, de formation, de mise en œuvre d’outils informatiques ou de contrôle de gestion. Nous les mentionnons pour mémoire, mais elles sont souvent essentielles pour la réussite. S’assurer à intervalle régulier auprès des opérateurs de terrain que les mesures décidées sont pertinentes et mises en œuvre n’est en général pas un luxe inutile pour le dirigeant.
- Communiquer envers le personnel et les actionnaires
Développer une communication interactive envers le personnel, les partenaires sociaux et les actionnaires permet au dirigeant de bénéficier de soutiens et de feedback dont il serait préjudiciable de se passer. Cette communication est souvent devenue l’affaire de spécialistes voire d’outils de communication. Ceux-ci sont certes indispensables mais ne doivent pas priver le dirigeant de rechercher lui-même la relation directe, sous des formes appropriées avec ses partenaires internes et externes.
- Mesurer le chemin parcouru et fixer des objectifs à 6 mois déclinant la stratégie.
Mesurer et acter auprès de l’encadrement du personnel du chemin parcouru, ancre le changement dans la réalité et dans la perception des collaborateurs, comme des actionnaires. Le dirigeant gagne à s’y employer avec son équipe à intervalle régulier (a minima deux fois par année) ce qui lui permet de refixer des objectifs mobilisateurs à court terme s’inscrivant dans les orientations stratégiques à moyen terme définies. Ces points d’étape permettent aussi de rectifier le tir de manière réactive et de partager le sens.
La vision du leadership développée ici ne se réduit pas comme vous l’aurez constatée à la seule vision stratégique du dirigeant et de son équipe mais s’intéresse de prêt à la mise en œuvre de la stratégie et au partage du sens pour rendre acteur le plus possible de collaborateurs, pour développer la coopération interne et favoriser l’agilité de l’entreprise face aux nombreux défis du futur.
Gérard ROTH, 10 Mars 2016.
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